Légipresse 2004, n°208, II, pp. 8-15
Thierry MAILLARD
Première publication : janvier/février 2004.
Article reproduit avec l'aimable autorisation de Victoires Editions.
Le 12 novembre 2003, le Ministre de la culture et de la communication présentait au Conseil des ministres un projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (DADVSI). Le texte prévoit d’introduire dans le Code de la propriété intellectuelle plusieurs dispositions relatives aux « mesures techniques de protection et d’information ». Cette irruption de la technique dans le champ de la propriété littéraire et artistique pourrait bien modifier sensiblement la physionomie de la matière et alimenter un contentieux foisonnant.
Après plusieurs mois d’atermoiements, le projet de loi DADVSI [1] a finalement été présenté au Conseil des ministres, près d’un an après l’expiration du délai de transposition fixé par la directive éponyme du 22 mai 2001 [2] . Du train où vont les choses, il est peu probable que le texte fasse l’objet d’une inscription à l’ordre du jour avant plusieurs semaines. A mi-parcours dans le processus législatif, il ne semble pas inutile de mettre à profit ce moment de répit pour se pencher de plus près sur ce texte complexe qui introduit dans l’orbite de la propriété littéraire et artistique un nouvel objet de protection, les « mesures techniques de protection et d’information » [3] , qui pourrait bien transformer à terme les équilibres internes de la matière.
L’idée de recourir aux mesures techniques de protection des contenus – protégés ou non par un droit de propriété intellectuelle – n’est pas neuve, celle de les protéger juridiquement non plus. L’article L. 122-6-2 du CPI appréhende déjà les dispositifs techniques de protection des logiciels, et force est de constater que notre droit n’en a pas été autrement affecté. Les dispositions du projet de loi sont cependant d’une toute autre ampleur, par l’étendue de leur champ d’application, par la nature des actes prohibés, par l’importance des sanctions ; et il n’est pas certain que le droit d’auteur à la française, qui, depuis deux siècles, a su faire preuve d’adaptabilité et de flexibilité, sorte tout à fait indemne de la réception des mesures techniques qui – par leur nature même – semblent étrangères à ces vertus. Mais avait-on vraiment le choix ? Le recours à la technique paraît aujourd’hui nécessaire pour « traduire dans les faits les principes et garanties prévus par la loi » [4] et il n’est pas anormal que le droit se saisisse de la question pour garantir l’effectivité de cet instrument d’effectivité du droit. C’est en réalité davantage sur les modalités de réception des mesures techniques que sur leur principe que doit aujourd’hui porter le débat. Car c’est là l’enjeu de la loi DADVSI : assurer une protection efficace des mesures techniques tout en préservant les équilibres qui fondent et légitiment la propriété littéraire et artistique.
C’est en vertu de l’article 6 de la directive précitée que la France est tenue de prévoir « une protection juridique appropriée » contre le contournement intentionnel des mesures techniques de protection (art. 6.1) et les activités préparatoires à celui-ci (art. 6.2). Le texte n’imposant rien quant au choix du cadre normatif réceptionnaire de la protection, on aurait pu procéder à une transposition hors du CPI : il existe déjà en droit français des normes non spécifiques à la propriété intellectuelle susceptibles de protéger des systèmes de protection technique des « contenus » [5] et l’on aurait pu s’en inspirer. Cette approche, ne retenant aucune connexité entre protection des mesures techniques et droits de propriété littéraire et artistique, n’aurait cependant pas été à l’abri de la critique. D’abord parce qu’il existe une véritable légitimité à l’incorporation de la protection des mesures techniques dans le CPI en ce qu’elle est, à l’image des dispositions relatives à la contrefaçon, un instrument de l’effectivité des droits. Ensuite et surtout parce que la délicate « balance des intérêts » qui sous-tend le dispositif de la directive doit pouvoir être appréhendée de façon globale, en bonne intelligence avec les équilibres préexistants de notre droit. Le choix fait par le projet de loi de transposer l’article 6 au sein du CPI est à ce titre pleinement recevable.
Le régime de protection proposé réalise une transposition de la directive très protectrice des mesures techniques, nettement favorable aux titulaires de droits (I). Prenant en compte le risque de surréservation des contenus protégés, le projet de loi propose, en transposition de l’ineffable article 6.4 de la directive, la mise en place d’un mécanisme de règlement des différends supposé garantir l’exercice de certaines exceptions et rétablir ainsi la balance des intérêts (II).
I. La protection juridique des mesures techniques de protection
Le projet de loi fait du livre III du CPI le siège de la protection des mesures techniques, ce qui souligne la vocation de ces nouvelles dispositions à s’appliquer à l’ensemble des droits de propriété littéraire et artistique [6] . Il est proposé de subdiviser le chapitre premier du titre III en deux sections. La première, intitulée « Règles générales de procédure », reprend les dispositions de l’actuel chapitre premier (art. L. 331-1 à 4). La seconde, baptisée « Mesures techniques de protection et d’information », accueille six nouveaux articles, dont le premier (art. L. 331-5) pose le principe de la protection des mesures techniques (A). Le projet de loi complète par ailleurs le dispositif répressif du chapitre V du même titre, en assimilant à un délit de contrefaçon le fait de porter atteinte à une mesure technique ou de faciliter ou permettre cette atteinte (B).
A. Objet et nature de la protection
Le nouvel article L. 331-5 transpose l’article 6.3 de la directive, qui définit les mesures techniques et précise les conditions auxquelles celles-ci sont réputées efficaces (1). Il pose dans le même temps un principe général de protection de ces mesures qui, s’il simplifie la formulation alambiquée de l’article 6.3, ne permet pas de cerner précisément la nature de la protection (2).
1. L’objet de la protection : les mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou limiter les utilisations non autorisées par le titulaire de droits
Le projet de loi fait une transposition quasi littérale de l’article 6.3, qu’il s’agisse de la définition des mesures techniques, de l’exigence d’efficacité ou de la définition du champ d’application de la protection.
• Définition des mesures techniques
L’article L. 331-5, alinéa 2, pose qu’une mesure technique est une « technologie », un « dispositif » ou un « composant ». La terminologie employée est celle de la directive. On ne peut que se réjouir de ce que le projet de loi n’ait pas repris le malheureux catalogue des précédentes versions qui visaient – sans doute par souci d’exhaustivité – « toute technologie, produit, appareil, dispositif, composant, service ou moyen ». L’inventaire n’aurait rien apporté – y compris du point de vue de l’exhaustivité – sinon la confusion. Il est de la même façon heureux que les rédacteurs du projet n’aient pas entendu la proposition faite par les partisans du « logiciel libre » de préciser qu’ « un protocole, un format, une méthode de cryptage, de brouillage ou de transformation ne constitue pas – en tant que tel – une mesure technique au sens de la présente loi » [7] . Proposée, il est vrai, dans un juste souci d’assurer l’interopérabilité des systèmes, la précision aurait ouvert la porte à de multiples fraudes, du fait de son très fort ancrage technologique.
La reprise des termes de la directive semble être le choix le plus pertinent. Elle permet d’appréhender de manière à la fois large et technologiquement neutre la quasi-totalité des systèmes techniques susceptibles d’être mis en œuvre par les titulaires de droits. Elle correspond par ailleurs à la terminologie employée par les autres États membres, ce qui, s’agissant de la transposition d’une directive d’harmonisation, n’est pas une mauvaise chose.
• Exigence d’efficacité
Seules les mesures techniques « efficaces » peuvent prétendre au bénéfice de la protection (art. L. 331-5 al. 2). L’exigence permet de fixer un seuil minimal d’accès à la protection et ainsi d’écarter les systèmes les plus triviaux, notamment ceux mis en place aux seules fins de bénéficier de la protection. Le projet de loi précise que les mesures techniques sont « réputées efficaces lorsqu’une utilisation (…) est contrôlée grâce à l’application d’un code d’accès, d’un procédé de protection, tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l’objet de la protection, ou d’un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection ». Il s’agit, là encore, d’une transposition très fidèle de la directive, qui n’appelle pas, en tant que telle, de commentaire [8] .
• Champ d’application de la protection
Les mesures techniques efficaces doivent enfin être « destinées à empêcher ou limiter les utilisations non autorisées par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du droit d’auteur, d’une œuvre, d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme ». Sont ainsi visées toutes les mesures techniques mises en œuvre par les titulaires de droits en vue d’empêcher ou de limiter l’utilisation d’un objet protégé, y compris celles qui contrôlent des actes d’utilisation pour lesquels aucun droit exclusif n’a vocation à s’appliquer. Les mesures techniques contrôlant l’accès [9] seront donc protégées, au même titre que celles contrôlant les actes de reproduction ou de communication au public, dès lors qu’elles seront appliquées à un objet protégé par un droit d’auteur ou un droit voisin. Inversement, s’agissant des œuvres tombées dans le domaine public, les atteintes directes [10] aux mesures techniques ne pourront être sanctionnées sur ce fondement : on ne saurait en effet, en l’absence de droits, parler ni de titulaires de droits ni a fortiori d’utilisations non autorisées par ceux-ci. En revanche, s’agissant des exceptions – qui ne se trouvent pas hors du champ d’application des droits auxquels elles s’appliquent – la situation est toute autre.
Les utilisateurs ne pourront, hors du mécanisme prévu au nouvel article L. 331-7 (v. infra), arguer d’une exception pour échapper de plein droit à l’interdiction du contournement. La solution heurte les intérêts du public ; elle n’en est pas moins nécessaire. Admettre l’inopposabilité de l’interdiction à l’utilisateur exerçant une exception reconnue par la loi reviendrait à ruiner l’effectivité du dispositif de protection et à substituer à l’ineffectivité des droits exclusifs – à laquelle les mesures techniques sont censées remédier – celle des mesures techniques [11] ! Autant, dans ces conditions, ne rien protéger du tout, et espérer que le salut de la propriété littéraire et artistique viendra d’un sursaut de vertu des utilisateurs [12] …
La prise en compte des intérêts des utilisateurs n’est cependant pas absente du dispositif de l’article L. 331-5 qui, en son troisième alinéa, apporte une limite à la protection en instituant un système de licences de développement obligatoires à des fins d’interopérabilité. La disposition [13] est importante car elle pose des bases nécessaires à une normalisation progressive des mesures techniques, en forçant l’ouverture des formats propriétaires. Le texte, pondéré, ménage dans le même temps les intérêts des titulaires de droits sur les mesures techniques en exigeant des licenciés qu’ils se conforment aux conditions de sécurité de fonctionnement de la mesure technique [14] .
2. La nature incertaine de la protection
Fidèle à la lettre de l’article 6.3, le projet de loi en modifie cependant légèrement la structure, en posant d’abord le principe de la protection des mesures techniques efficaces, puis en définissant les notions de mesures techniques et d’efficacité. Cette recomposition apporte beaucoup en clarté ; elle laisse néanmoins planer un doute quant à la nature juridique de la protection. L’article L. 331-5 dispose en effet que « les mesures techniques efficaces (…) sont protégées » dans les conditions prévues au titre III. Il est dès lors difficile de savoir si le texte donne naissance à un véritable droit exclusif d’autoriser ou d’interdire le contournement d’une mesure technique et si le bénéfice de la protection est transmissible.
En réalité, l’obligation faite aux titulaires de droits de prendre – s’agissant des mesures techniques – des mesures volontaires pour permettre l’exercice des exceptions (v. infra) atteste de ce que les titulaires de droits peuvent renoncer à la protection des mesures techniques qu’ils mettent en œuvre. Les choses auraient néanmoins pu être plus explicites. L’Allemagne, le Danemark, la Grèce et le Royaume-Uni ont, dans leur loi de transposition, expressément reconnu un droit d’autoriser ou d’interdire le contournement. Rien ne s’opposait à ce que la France en fasse autant, sauf peut-être la volonté de clairement distinguer la nature de la protection des mesures techniques de celle des droits exclusifs.
Surtout, il est difficile de savoir si le distributeur d’une œuvre appliquant son propre système de protection, alors que l’auteur [15] – sans pour autant être à l’initiative de la mise en œuvre – ne s’y oppose pas, pourra bénéficier de la protection [16] ? L’auteur, consentant à la mesure technique, ne fixe pas lui-même, techniquement, les restrictions d’utilisation. S’agit-il dès lors d’une mesure technique destinée à empêcher une utilisation non autorisée par l’auteur ? Le texte n’est pas clair sur ce point.
Le projet de loi, en ne tranchant pas sur la nature de la protection, laisse ainsi subsister des zones d’ombre. Le plus simple aurait peut-être été de prévoir expressément, comme le fait la loi britannique (s. 296), que les licenciés exclusifs ou les personnes distribuant ou communiquant au public l’œuvre bénéficient de la même protection que le titulaire de droits. La question mériterait en tout cas d’être clarifiée.
B. Actes prohibés
La directive transpose de façon « maximaliste » les Traités OMPI en prohibant à la fois les actes personnels de contournement et les activités préparatoires à ceux-ci. Si ces actes sont définis de façon très précise, le texte laisse en revanche une grande latitude aux États membres s’agissant de la forme de la protection et des sanctions juridiques devant l’accompagner.
Deux options de transposition ont été envisagées lors des travaux préparatoires : soit étendre aux mesures techniques le dispositif applicable à la contrefaçon, soit instituer un régime de protection distinct. C’est finalement la première qui a prévalu, en raison de l’étroite connexité des actes prohibés. Le professeur Lucas avait alors proposé au CSPLA de « prévoir que les actes incriminés seront punis des peines prévues par les textes réprimant la violation des droits des auteurs et des titulaires de droits voisins, mais en les distinguant bien de cette violation même ». La solution aurait permis de maintenir une distinction de nature entre mesures techniques et droit d’auteur. L’éminent professeur n’a malheureusement pas été suivi dans ses recommandations et c’est finalement l’option de l’ « assimilation » au délit de contrefaçon qui a été retenue.
La plupart des États membres ont transposé le dispositif des articles 6.1 et 6.2 à l’identique. Les rédacteurs du projet de loi, animés de la volonté de transposer dans le respect du génie législatif français, ont préféré remodeler le dispositif de la directive, dans sa forme mais peut-être aussi sur le fond. Le texte conserve toutefois la répartition générale de la directive en prohibant d’une part l’atteinte à la mesure technique (1) et d’autre part les activités préparatoires à celle-ci (2).
1. L’atteinte à une mesure technique efficace
L’article 6.1 de la directive, qui impose aux États membres de prévoir « une protection juridique appropriée contre le contournement de toute mesure technique efficace, que la personne effectue en sachant, ou en ayant des raisons valables de penser, qu’elle poursuit cet objectif », a été transposé au sein d’un nouvel article L. 335-3-1 [17] . Plusieurs éléments devaient impérativement être repris : l’objet protégé (les mesures techniques efficaces), la nature de l’acte prohibé (le contournement), l’élément intentionnel. La notion peu contraignante de « protection juridique appropriée » laissait cependant une assez grande latitude aux rédacteurs du projet.
Le nouvel article L. 335-3-1 1° assimile à un délit de contrefaçon « le fait pour une personne de porter atteinte, en connaissance de cause, à une mesure technique (…) afin d’altérer la protection, assurée par cette mesure, portant sur une œuvre » [18] . S’agissant de l’élément intentionnel, considéré au moment de l’élaboration de la directive comme une condition nécessaire à l’admission de la prohibition de l’acte de contournement [19] , il est probable que l’expression « en connaissance de cause » suffise à transposer « en sachant, ou en ayant des raisons valables de penser ». Il est en revanche moins sûr que le choix de l’expression « porter atteinte » [20] soit adéquat pour appréhender la notion de « contournement » qui, précisément, semble recouvrir également des actes qui ne portent pas atteinte stricto sensu à la mesure technique [21] . On pourra toujours considérer que tout acte de contournement suppose une atteinte lato sensu à la mesure technique [22] ou conclure que l’expression « porter atteinte » se prête aux mêmes interprétations extensives que celle de « contourner ». Si la formule est maintenue, il reviendra au juge de l’éclairer.
On notera par ailleurs que le projet de loi finalise l’atteinte portée à la mesure technique en précisant que celle-ci doit viser à « altérer la protection ». Si l’article 6.1 de la directive exige que l’auteur de l’acte de contournement sache ou ait des raisons valables de penser qu’il poursuit cet objectif, il ne semble pas que l’objectif dont il est question soit celui d’une altération de la protection mais, de façon beaucoup plus neutre, celui du contournement. Cependant, en visant les « mesures techniques efficaces », l’article 6.1 renvoie à l’article 6.3, qui précise que ces mesures techniques sont destinées à empêcher ou limiter les actes non autorisés. Le contournement en connaissance de cause d’une mesure technique efficace semble donc implicitement intégrer l’idée d’altération de la protection, ce qui légitime la transposition proposée par le projet de loi.
Le recours à l’article L. 335-3-1 1° restera en tout état de cause assez marginal car les actes en cause seront principalement effectués dans un cadre privé, difficilement contrôlable. Ce sont en fait les paragraphes suivants de l’article L. 335-3-1, visant les activités préparatoires à l’atteinte, qui sont appelés à connaître la plus large mise en œuvre.
2. Les activités préparatoires à l’atteinte
Aux termes de l’article 6.2 de la directive, doivent être prohibés « la fabrication, l’importation, la distribution, la vente, la location, la publicité en vue de la vente ou de la location, ou la possession à des fins commerciales de dispositifs, produits ou composants ou la prestation de services » qui :
- soit « font l’objet d’une promotion, d’une publicité ou d’une commercialisation, dans le but de contourner la protection » (6.2 a)),
- soit « n’ont qu’un but commercial limité ou une utilisation limitée autre que de contourner la protection » (6.2 b)),
- soit « sont principalement conçus, produits, adaptés ou réalisés dans le but de permettre ou de faciliter le contournement de la protection » (6.2 c)).
Le texte permet d’appréhender de façon compréhensive les activités préparatoires et de limiter les risques de contournement du dispositif légal. La plupart des États membres, soucieux de ne pas en trahir le sens, ne se sont pas écartés de sa rédaction lors de la transposition. Tel n’est pas le cas du projet de loi français qui modifie radicalement la structure et la formulation du texte.
Ce qui reste de l’article 6.2 est transposé aux points 2°, 3° et 4° de l’article L. 335-3-1. Le projet de loi assimile à un délit de contrefaçon « le fait, en connaissance de cause »:
- « de fabriquer ou d’importer une application technologique, un dispositif ou un composant ou de fournir un service, destinés à faciliter ou à permettre la réalisation, en tout ou en partie, du fait mentionné au 1° » (L. 335-3-1 2°);
- « de détenir en vue de la vente, du prêt ou de la location, d’offrir à la vente, au prêt ou à la location, de mettre à disposition sous quelque forme que ce soit une application technologique, un dispositif ou un composant ou de fournir un service destinés à faciliter ou à permettre la réalisation, en tout ou en partie, du fait mentionné au 1° » (L. 335-3-1 3°);
- « de commander, de concevoir, d’organiser, de reproduire, de distribuer ou de diffuser une publicité, de faire connaître, directement ou indirectement, une application technologique, un dispositif, un composant ou un service destinés à faciliter ou à permettre la réalisation, en tout ou en partie, de l’un des faits mentionnés au 1° ou au 2° » (L. 335-3-1 4°).
Le projet de loi opère une répartition des faits calquée sur les phases successives de production et de commercialisation des moyens de contournement, ce qui est indéniablement plus clair que le dispositif de la directive. Il introduit par ailleurs, pour chacun de ces actes, un élément intentionnel, que n’impose pas expressis verbis l’article 6.2 [23] . Surtout, il substitue par une curieuse alchimie l’expression « application technologique » à celle de « produit ». On peut dans ces conditions douter de la capacité du texte à assurer effectivement la pleine application de la directive d'une façon suffisamment claire et précise [24] .
Le projet de loi réalise en fait une transposition complète mais audacieuse, dont la clé de voûte est précisément la notion d’ « application technologique ». Il convient à ce propos de rappeler que l’article 6.2 de la directive a été pensé pour éviter que la prohibition des activités préparatoires ne puisse être contournée par un « blanchiment » des moyens de contournement, par exemple en « greffant » des dispositifs (ou prestations) de contournement illicites à des produits (ou services) licites qui, pris dans leur globalité, n’auraient pas eu pour but de contourner une mesure technique [25] . La directive retient ainsi une définition des actes prohibés permettant d’atteindre la destination réelle des produits (ou services) proposés, en recourrant à des formules comme « dans le but de » ou « n’ont qu’un but (…) limité (…) autre que ». Mais en réalité c’est bien l’« application technologique » – c’est-à-dire l’utilisation précise faite du produit – qui est visée. L’article 6.2 a) vise ainsi les hypothèses où l’application fait spécialement l’objet de la promotion ou de la commercialisation, l’article 6.2 b) celles où l’application constitue la valeur commerciale principale ou l’utilisation réelle du produit, l’article 6.2 c) permettant d’atteindre les produits qui n’ont été conçus ou adaptés qu’en vue de cette application. La transposition proposée par le projet de loi semble de ce fait parfaitement recevable.
L’article L. 335-3-1, beaucoup plus complet que l’article 6.2, introduit une protection des mesures techniques très ferme et très favorable aux titulaires de droits. La frontière entre droits exclusifs et exceptions, jusqu’à présent assez malléable, aura demain, du fait de cette protection, une véritable matérialité, ce qui risque de remettre en cause les modalités d’exercice des exceptions. Le projet de loi propose dès lors un correctif au travers d’une procédure de garantie des exceptions.
II. L’articulation entre protection des mesures techniques et exercice des exceptions
La protection technique des œuvres ne peut, en l’état de la technique, être une protection en demi-teinte: elle doit, pour être efficace, rester ferme et voir ses failles comblées par l’interdiction des actes de contournement. La protection juridique des mesures techniques porte ainsi en elle le risque d’une négation de fait des exceptions reconnues par la loi, dont certaines participent pourtant à la réalisation d’objectifs d’intérêt général, voire garantissent l’exercice de libertés fondamentales.
Soucieuse de maintenir une certaine balance des intérêts entre titulaires de droits et utilisateurs, la directive a prévu un mécanisme de conciliation de la protection des mesures techniques avec l’exercice des exceptions (art. 6.4). Tout État membre connaissant dans sa législation l’une des sept exceptions visées à l’article 6.4 §1 est ainsi tenu, « en l’absence de mesures volontaires prises par les titulaires de droits » dans un « délai raisonnable » [26] , de prendre des « mesures appropriées » pour assurer aux bénéficiaires de ces exceptions ayant « un accès licite à l’œuvre protégé ou à l’objet protégé » que les titulaires de droits mettront à leur disposition les moyens d’exercer lesdites exceptions, « dans la mesure nécessaire pour en bénéficier ». L’article 6.4 §2 reconnaît par ailleurs aux États la faculté de prévoir un dispositif similaire s’agissant de l’exception pour copie privée.
Deux options de transposition s’offraient aux rédacteurs du projet de loi. Soit légiférer immédiatement en mettant en place un mécanisme de conciliation applicable à chaque hypothèse où serait constatée l’absence de mesures volontaires prises dans un délai raisonnable. Soit laisser aux titulaires de droits un « délai raisonnable » pour mettre en place des systèmes techniques de protection, en constater les effets et progressivement prendre des mesures volontaires, l’État n’ayant à légiférer – i.e. prendre des « mesures appropriées » – qu’une fois avérées les situations concrètes de blocage : la solution – retenue en Autriche – présentait l’avantage de se laisser le temps de l’observation et de la réflexion. La France n’a pas fait le choix de cette transposition pusillanime, et il n’y a sans doute pas lieu de le regretter. La question de l’opportunité de la transposition de l’article 6.4 s’est malgré tout posée au début des travaux préparatoires.
Au moment de l'adoption de la directive, le droit français ne connaissait en effet qu'une seule des exceptions visées à l'article 6.4 §1, à savoir celle relative aux utilisations effectuées « à des fins de sécurité publique ou pour assurer le bon déroulement de procédures administratives, parlementaires ou judiciaires, ou pour assurer une couverture adéquate desdites procédures ». Le champ d'application de l'article L. 331-4 du CPI étant cependant plus étroit, l'exception de sécurité publique – telle que formulée – ne semblait pas requérir à elle seule une transposition de l'article 6.4. Et comme aux termes de l'article 6.4 §2 la garantie de l'exception pour copie privée restait facultative, le législateur français aurait pu – et c’est l’analyse qui a prévalu dans un premier temps – s'épargner une transposition de 6.4. Cependant, dès lors qu’a été admis le principe d’une nouvelle exception en faveur des personnes handicapées [27] – exception visée à l’article 6.4 §1– il a fallu prévoir un mécanisme de conciliation. Dans sa lancée, le ministère de la culture, affirmant son attachement à la copie privée [28] , a décidé d’également transposer l’article 6.4 §2.
La solution retenue par le projet de loi repose sur la création d’un collège des médiateurs (A). Le mécanisme de conciliation, prudemment construit, devrait permettre d’assurer une certaine garantie d’exercice des exceptions. Le projet de loi laisse cependant de côté certaines exceptions, ce qui risque de soulever plusieurs difficultés (B).
A. Le collège des médiateurs
Le projet de loi instaure un mécanisme unique de conciliation, indistinctement applicable aux différends, qu’ils aient traits à l’exercice de l’exception visée à l’article L. 122-5 7° ou à celui de la copie privée [29] . La solution initialement envisagée par le ministère de la culture était celle d’un simple recours au juge, auquel était reconnu la faculté de prescrire aux titulaires de droits « toute mesure de nature à assurer le bénéfice des exceptions ». Évitant les affres d’une « jurisprudence chaotique » [30] , le projet de loi a opté pour la mise en place d’un collège de médiateurs indépendant qui, s’inspirant de la mission du médiateur du cinéma instauré par la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, doit remplir une double fonction de conciliation et de décision (1). Ce mécanisme aurait pu s’avérer rapidement impraticable ; il semble en fait que les conditions d’accès au collège des médiateurs sont telles que le volume des différends effectivement tranchés pourrait bien rester – au moins transitoirement – limité (2).
1. Le dispositif des articles L. 331-7 et L. 331-8
Aux termes de l’article L. 331-7, tout différend impliquant une mesure technique et portant sur le bénéfice d’une des deux exceptions précitées est soumis à un collège des médiateurs comprenant trois personnalités qualifiées nommées par décret pour une durée de six ans non renouvelable. Le texte précise que « deux médiateurs sont choisis parmi des magistrats ou fonctionnaires appartenant, ou ayant appartenu, à un corps dont le statut garantit l’indépendance », le troisième étant nommé sur proposition des deux autres. Une version antérieure du projet de loi visait plus largement « trois personnalités qualifiées, nommées par décret sur proposition conjointe des ministres de la justice, de la culture et de l’industrie ». La composition retenue par l’actuel projet présente davantage de garanties quant à la légalité, la pondération et l’homogénéité des décisions qui seront rendues.
Le collège des médiateurs doit, dans le respect des droits des parties, favoriser ou susciter une solution de conciliation [31] . Si celle-ci est trouvée, un procès-verbal de conciliation ayant force exécutoire est déposé au greffe du tribunal d’instance. Dans le cas contraire, « le collège des médiateurs prend une décision motivée de rejet de la demande ou émet une injonction prescrivant, au besoin sous astreinte, les mesures propres à assurer le bénéfice effectif de l’exception ». Les décisions et le procès-verbal de conciliation devant être rendus publiques [32] , la jurisprudence du collège des médiateurs servira probablement de guide aux titulaires de droits pour déterminer les mesures « propres à assurer le bénéfice effectif de l’exception » et aux bénéficiaires d’exception pour apprécier la recevabilité de leur demande, ce qui devrait contribuer à limiter le nombre des différends soumis au collège.
Si le principe de la solution de médiation est ainsi clairement défini, les conditions de son application le sont beaucoup moins. Une précédente version du projet de loi imposait au collège de statuer « dans un délai de deux mois à compter de sa saisine, renouvelable une fois à la demande des parties ou à l’initiative des médiateurs ». Le texte actuel ne prévoit plus de délai et se contente de renvoyer sur ce point et sur l’ensemble des conditions d’application des articles L. 331-7 et 8 à un décret pris en Conseil d’État. Le texte, très prudent, ménage ainsi la possibilité d’adapter les règles une fois le recours aux mesures techniques davantage généralisé et ses incidences avérées.
Il faut dire que la matière incite à la prudence. Le risque est grand de voir le collège des médiateurs submergé par les différends relatifs à la copie privée, qui sont – l’actualité le prouve [33] – loin d’être hypothétiques. En réalité, les conditions de recevabilité et de bien-fondé des demandes soumises au collège des médiateurs pourraient constituer une véritable « barrière à l’entrée ».
2. Les conditions de recours au collège des médiateurs
Le prononcé d’une injonction à l’encontre du titulaire de droits ne sera possible que si sont réunies plusieurs conditions de fond et de forme. Celles-ci sont, par leur nature et leur nombre, susceptibles de limiter considérablement le nombre des différends que le collège des médiateurs sera effectivement amené à trancher. On serait tenté de parler en l’espèce de « parcours du combattant » ; mais il n’est même pas sûr, en l’état du texte, que le bénéficiaire d’une exception ait l’occasion de « parcourir » quoi que ce soit …
Le préalable à toute demande est que les conditions de l’exception soient réunies, et notamment que l’utilisation en cause soit conforme au « test des trois étapes », introduit par le projet de loi à l’article L. 122-5 [34] en transposition de l’article 5.5 de la directive. Ce test – véritable standard international en matière d’exceptions [35] – pose que les exceptions ne sont applicables que dans certains cas spéciaux [36] qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire de droit. Il est difficile de savoir dans quelles hypothèses un acte réalisé en vue d’exercer une exception sera considéré comme irrecevable au regard du test des trois étapes [37] . Il est néanmoins probable que la disposition permettra de réduire notablement le champ d’application de l’article L. 122-5 et, partant, de limiter les cas de recours au collège des médiateurs.
Il devra ensuite être constaté, conformément à l’article L. 331-6, que le titulaire de droits n’a pas pris de mesures volontaires pour permettre le bénéfice effectif de l’exception, faute de quoi le collège des médiateurs n’admettra pas le bien-fondé de la demande. Le bénéficiaire d’une exception ne pourra valablement arguer de l’absence de mesures volontaires que si plusieurs conditions sont réunies :
- L’œuvre ne doit pas avoir été mise à sa disposition dans le cadre d’un service interactif à la demande, puisque dans cette hypothèse les stipulations contractuelles prévalent [38] ;
- Le bénéficiaire doit avoir un « accès licite à l’œuvre ». Le dispositif de l’article L. 331-6 ne devrait ainsi pas pouvoir être invoqué par un utilisateur ne parvenant pas à dupliquer un film protégé téléchargé via un réseau peer-to-peer. Alors qu’il n’est pas évident que ce type de téléchargement échappe à la qualification de copie privée [39] , l’article L. 331-6 devrait permettre de pallier dans les faits les carences de l’article L. 122-5 2° ;
- L’impossibilité de bénéficier de l’exception ne doit pas résulter de l’exercice par le titulaire de droits de la faculté que lui reconnaît l’article L. 331-6 de prendre des mesures permettant de limiter le nombre de copies. Si le bénéficiaire de l’exception pour copie privée a déjà pu réaliser une copie, celle-ci pourra être qualifiée de « mesure volontaire » ayant permis le bénéfice effectif de l’exception ;
- L’impossibilité de bénéficier effectivement de l’exception doit être réelle. Si le titulaire de droits distribue son œuvre sur plusieurs types de supports ou formats, les uns empêchant l’exercice de l’exception, les autres pas, il est probable que l’existence des seconds suffira à caractériser une mesure volontaire [40] .
Ce n’est que si ces conditions sont réunies que le titulaire de droits sera tenu de prendre, dans un « délai raisonnable », les mesures nécessaires. Et ce n’est qu’au terme de ce délai raisonnable que le collège des médiateurs pourra être saisi d’une demande, soit par le bénéficiaire de l’exception soit par la personne morale agréée qui le représente.
Tel qu’il est construit, le dispositif du projet de loi permet de ne mettre en place que de façon limitée la garantie des exceptions, quitte à ce que le champ en soit ultérieurement élargi, en assouplissant l’interprétation des conditions d’accès au collège des médiateurs [41] . Ce mécanisme à géométrie variable devrait permettre de valider les réglementations successives à la lumière de leur faisabilité et de leurs effets et d’ainsi éviter de compromettre par une législation rigide la viabilité même de la propriété littéraire et artistique. Au sein de ce système, le collège des médiateurs sera sans doute appelé à jouer un rôle déterminant de régulation, au travers notamment de l’interprétation des critères de recevabilité des demandes ; il pourrait devenir dans les prochaines années l’instrument privilégié de l’ajustement de la balance des intérêts.
B. Les « oubliés » du projet de loi
Plusieurs zones d’ombre subsistent dans le projet de loi s’agissant des exceptions [42] . On peut notamment regretter que celle de courte citation – seule exception à laquelle la Convention de Berne reconnaît un caractère obligatoire – ne soit pas visée par le nouvel article L. 331-7. Il ne fait en effet aucun doute que les mesures techniques viendront contrarier l’exercice des citations audiovisuelles [43] . On ne saurait cependant blâmer les rédacteurs du projet de loi de suivre la directive dans son omission, l’article 6.4 §1 ne visant pas l’exception de citation. C’est en réalité davantage sur les questions de l’exception prévue en matière de dépôt légal (1) et de la recherche en cryptographie (2) que le texte suscite l’interrogation.
1. L’exception introduite en matière de dépôt légal
L’article 25 du projet de loi prévoit d’introduire une exception dans la loi n°92-546 du 20 juin 1992 relative au dépôt légal. Les nouveaux articles 6-1 à 3 disposeront que les titulaires de droit ne peuvent interdire aux organismes dépositaires « 1° la consultation de l’œuvre (ou de l’objet protégé) sur place par des chercheurs dûment accrédités par chaque organisme dépositaire sur des postes individuels de consultation dont l’usage leur est exclusivement réservé ; 2° la reproduction sur tout support et par tout procédé d’une œuvre (ou d’un objet protégé), nécessaire à la collecte, à la conservation et à la consultation sur place dans les conditions prévues au 1°. » Lors de la présentation de l’avant-projet de loi au CSPLA, la représentante du ministère de la culture avait, évoquant la disposition, parlé d’une « forme d’exception ». Abandonnant une nuance dont on aurait bien été en peine d’apprécier la portée juridique, l’exposé des motifs du projet de loi affirme sans ambages qu’il s’agit bien là d’ « une exception aux droits d’auteur et aux droits voisins limitée au bénéfice des établissements dépositaires (et des chercheurs qu’ils accréditent) ».
Dès lors, l’exception doit nécessairement – sauf à contrarier le dispositif de la directive – trouver son fondement dans la liste exhaustive d’exceptions de l’article 5 de la directive. L’hypothèse de l’article 5.3 o) n’étant pas recevable en l’espèce [44] , il semble que l’exception ne puisse relever que des cas prévus aux articles 5.2 c) et 5.3 n). Or, le premier de ces articles appartenant aux sept exceptions retenues à l’article 6.4 §1, le mécanisme de conciliation devrait s’appliquer aux actes visés au 2° du futur article 6.2 de la loi du 20 juin 1992.
Le fait que l’exception ne soit pas intégrée au CPI est à ce titre indifférent puisque l’article 6.4 vise, d’une façon très large, les « exceptions ou limitations prévues par le droit national ». La seule objection recevable serait celle de l’absence de risques de blocage. Or, il est clair que l’archivage de contenus techniquement protégés se heurtera souvent aux mesures techniques. Sans doute les rédacteurs du projet ont-ils envisagé que cette question soit traitée hors du collège des médiateurs, par exemple au moyen de sanctions contre les personnes assujetties à l’obligation de dépôt qui ne fourniraient pas les œuvres sous un format non protégé. Mais d’une part, il n’est pas du tout clair que la loi du 20 juin 1992 permette en l’état d’exiger la suppression d’une mesure technique et d’autre part, il n’est pas démontré que les États membres soient admis à mettre en place une procédure de garantie des exceptions qui ne reprenne pas, s’agissant des exceptions visées à l’article 6.4, les principes directeurs de cet article.
2. La recherche en cryptographie
L’exposé des motifs précise que « le projet de loi n’a (…) pas pour objet d’empêcher la recherche scientifique dans le domaine de la cryptographie. » On aurait pu souhaiter autre chose qu’une déclaration creuse sur ce qui ne fait pas l’objet du projet de loi pour prendre en considération la question fondamentale de la recherche en cryptographie, de laquelle dépend l’efficacité des mesures techniques. Il est vrai que la directive ne traite de ce point qu’au détour d’un considérant, au travers d’une formule laconique précisant que la protection des mesures techniques « ne doit notamment pas faire obstacle à la recherche sur la cryptographie. » On aurait néanmoins pu insérer dans le corps même du CPI une disposition de cet ordre .
La question est, il est vrai, d’une grande complexité dans la mesure où il s’agit de faire échapper à la sanction du contournement les personnes les plus à même de le réaliser, voire – s’agissant de la cryptanalyse – celles dont l’activité même consiste à mettre en échec les techniques de protection. De quelle façon faut-il dès lors circonscrire les notions de « recherche » et de « chercheur » ? Comment et sur la base de quels mécanismes doit-on appréhender les publications issues de la recherche [45] ? Un pis-aller aurait été d’adopter une disposition s’inspirant de la loi anglaise, qui soustrait à l’interdiction du contournement les personnes effectuant des recherches en cryptographie, sauf si, ce faisant, ou en divulguant des informations issues de ces recherches, elles portent préjudice aux intérêts du titulaire de droits. La solution, imparfaite, aurait au moins eu le mérite d’exister.
Conclusion
Le projet de loi DADVSI illustre cet art nouveau de la « législation à l’essai » [46] . Il opère une transposition en deux temps, confiant au législateur futur ou au collège des médiateurs le soin de terminer le travail législatif à la lumière de la faisabilité des normes édictées. La profusion de notions nouvelles, les renvois répétés aux décrets en Conseil d’État, la latitude laissée au collège des médiateurs dans l’appréciation de la recevabilité et du bien-fondé des demandes sont autant d’éléments devant assurer l’adaptabilité des normes et permettre de maintenir ouvertes des portes de sortie ; au prix d’une insécurité juridique certaine, qui suscitera sans doute un fort contentieux dans les années à venir, tout au long de ce laborieux processus de transposition …
Comme l’a relevé le professeur Sirinelli, « on ne sait si les négociateurs des Traités OMPI avaient conscience de la complexité des systèmes dont ils ont provoqué la mise en œuvre. Les principes proclamés sont satisfaisants mais les moyens pour y parvenir sont bien délicats à établir » [47] . Dans un perpétuel mouvement de fuite en avant, la protection des mesures techniques, « patate chaude » de la propriété littéraire et artistique, semble passer chaque étape législative [48] sans jamais parvenir à trouver sa place. Il est difficile de savoir si ce projet de loi – s’il est adopté – achèvera enfin la réception des mesures techniques en droit français. Le législateur le souhaite-t-il seulement ? Aux termes de l’article 12.1 de la directive, la Commission doit, fin 2004, envisager une révision de l’article 6. On ne peut exclure, à la lecture du projet de loi, que la volonté de ses rédacteurs soit de repousser l’heure de la réception jusque-là …
[1] Projet de loi n°1206, déposé le 12 novembre 2003 sur le Bureau de l’Assemblée nationale.
[2] La directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, qui transpose elle-même les Traités OMPI de 1996, devait être transposée au plus tard le 22 décembre 2002.
[3] Par souci de clarté, seule sera ici envisagée la réception des mesures techniques de protection, les techniques d’information sur les droits présentant moins de difficultés en raison de leur caractère passif.
[4] 13 ème considérant de la directive.
[5] V. A. Latreille, « La protection des dispositifs techniques : entre suspicion et sacralisation » : Propriétés intellectuelles, n°2, janvier 2002.
[6] A l’exception – comme l’exige la directive – des logiciels pour lesquels l’article L. 122-6-2 continue de s’appliquer.
[7] Proposition d’EUCD.info, présentée au CSPLA le 27 janvier 2003.
[8] V. pour une analyse complète du dispositif de la directive A. Latreille, op. cit..
[9] V. sur la question S. Dusollier (coord.), Le droit d’auteur : un contrôle de l’accès aux œuvres ? : Cahiers du CRID, Bruylant, Bruxelles, 2000 ; G. Gomis, « Réflexions sur l’impact des mesures techniques de protection des œuvres »: Bull. Lamy Droit de l’informatique et réseaux, n°162, octobre 2003 (également disponible sur juriscom.net).
[10] La question est plus complexe s’agissant des activités préparatoires car les techniques employées pour protéger des œuvres tombées dans le domaine public seront généralement les mêmes que celles appliquées aux objets protégés. La fourniture de dispositifs de contournement sera dès lors illicite du fait de la cécité de ces dispositifs. Mais la prestation de service visant à contourner une mesure technique protégeant un contenu du domaine public ne devrait pas être sanctionnable au titre de l’article L. 335-3-1 du CPI (v. infra).
[11] La directive, à l’inverse des traités OMPI, n’est sur ce point pas équivoque. On peut dès lors s’étonner que la loi danoise précise qu’« on entend par "mesures techniques efficaces" toutes mesures techniques efficaces (sic) qui, dans le cadre normal de leur fonctionnement, sont conçues pour protéger les œuvres, interprétations, productions etc. protégées par la présente loi » (art. 75c (4)). On conçoit sans mal les difficultés que ce type de disparités dans les transpositions nationales peut entraîner.
[12] Ce dont il est permis de douter.
[13] Directement inspirée de l’article 95 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
[14] Le système ne devrait donc pas satisfaire le monde du logiciel libre puisqu’en matière de mesures techniques logicielles les licences de développement imposeront sans doute – sans qu’il s’agisse là d’une condition discriminatoire – l’inaccessibilité du code source aux utilisateurs finaux.
[15] Ou l’un des autres titulaires de droits visé à l’article L. 331-5.
[16] D’autres textes, notamment la directive sur la protection des services à accès conditionnel, permettent, il est vrai, de protéger les mesures techniques mises en œuvre par le distributeur, mais dans une moindre mesure que la directive de 2001. Dès lors, les contractants des titulaires de droits seront sans doute tentés – surtout dans le domaine des services interactifs à la demande, pour lesquels l’exercice des exceptions n’a pas à être garanti – d’invoquer les nouvelles dispositions du livre III du CPI.
[17] Et, pour les droits voisins et le droit sui generis , aux articles L. 335-4-1 et L. 342-3-1, formellement identiques à l’article L. 335-3-1.
[18] La disposition est importante car les paragraphes suivants de l’article L. 335-3-1 sont définis par référence à elle.
[19] Le but est de mettre à l’abri des sanctions l’utilisateur maladroit ou néophyte qui, de bonne foi, par mégarde, contournerait une mesure technique de protection.
[20] Alignée sur la terminologie des articles L. 323-1 et s. du Code pénal.
[21] On ne peut en effet exclure qu’un acte de contournement – i.e. un acte qui passe autour, qui élude le système de protection technique – ne touche pas directement, matériellement la mesure technique.
[22] En ce sens que tout acte privant d’effet la mesure technique y porterait atteinte.
[23] Mais qui semble néanmoins présent en filigrane.
[24] Comme l’exige la CJCE.
[25] Il en serait ainsi d’un lecteur de DVD dont une fonction parmi d’autres viserait à contourner le dispositif de protection. Sous l’empire de l’article 7.1 de la directive 91/250/CEE, qui ne prohibe que la mise en circulation ou la détention à des fins commerciales de moyens ayant pour seul but de neutraliser un dispositif technique, la commercialisation du lecteur serait licite.
[26] Précision donnée par le considérant 51.
[27] Nouvel article L. 122-5 7°.
[28] Et à la rémunération pour copie privée …
[29] Il aurait pu en être autrement, la directive n’imposant pas que les mesures prises au titre de l’article 6.4 §2, soient strictement identiques à celles adoptées au titre de l’article 6.4 §1.
[30] G. Vercken, « Mesures techniques et copie privée : round 1 ? », Légipresse, 2003, n°198, I.
[31] Art. L. 331-8.
[32] Dans « le respect des secrets protégés par la loi » cependant. Reste à savoir ce que recouvre exactement cette (heureuse) précision. Un code source non divulgué par son auteur est-il par exemple un « secret » protégé par l’article L. 121-2 du CPI ?
[33] V. les récentes affaires relatives aux CDs protégés : TGI Nanterre, 24 juin 2003, CLCV c/ EMI France ; TGI Nanterre, 2 septembre 2003, Françoise M. c/ EMI France, Auchan France ; TGI Paris, 2 octobre 2003, CLCV c/ BMG, Sony Music France.
[34] Ainsi qu’aux articles L. 221-3, L. 342-3 et L. 331-6.
[35] V. pour une analyse d’ensemble S. Ricketson, « Étude de l'OMPI sur les limitations et les exceptions au droit d'auteur et des droits connexes dans l'environnement numérique », avril 2003, disponible à l’adresse http://www.wipo.int/documents/fr/meetings/2003/sccr/pdf/sccr_9_7.pdf.
[36] En l’occurrence les exceptions listées à l’article L. 122-5.
[37] Les rédacteurs du projet de loi ne semblent d’ailleurs pas le savoir davantage puisque le projet de loi prévoit qu’un décret en Conseil d’État fixera « en tant que de besoin » les modalités d’application de l’article L. 122-5.
[38] Cf. l’article 6.4 §4.
[39] Puisqu’il y a identité du copiste et de l’usager.
[40] V. G. Vercken, « La protection des dispositifs techniques – Recherche clarté désespérément : à propos de l’article 6.4 de la directive du 22 mai 2001 » : Propriétés intellectuelles, jan. 2002, n°2.
[41] Par exemple en interprétant plus sévèrement la notion de « délai raisonnable ».
[42] Il existe bien d’autres carences du projet, notamment quant à l’articulation de la protection des mesures techniques avec la rémunération pour copie privée ou avec le régime spécifique des logiciels. On ne saurait les traiter dans le cadre restreint de cet article.
[43] Que n’exclut pas la directive.
[44] L’exception ne préexistant pas dans la législation nationale et ne concernant pas les seules utilisations analogiques, il ne peut s’agir d’une utilisation constitutive d’un « cas de moindre importance ».
[45] Susceptibles de constituer une mise à disposition de moyens de contournement. V. en ce sens l’affaire du « challenge SDMI » présentée à l’adresse http://www.cs.princeton.edu/sip/sdmi/faq.html.
[46] P. Sirinelli, L’étendue de l’interdiction de contournement des dispositifs techniques de protection des droits et les exceptions aux droits d’auteur et droits voisins, rapport général au Congrès de l’ALAI 2001.
[47] P. Sirinelli, op. cit..
[48] Internationale avec les Traités OMPI, communautaire avec la directive, nationale aujourd’hui avec le projet de loi.